J’ai eu la chance de pouvoir plonger en Afrique du Sud, et c’est à cette occasion que j’ai découvert – même si je ne l’ai pas vécu en direct car ce n’était pas la bonne période – un événement aquatique qui se répète chaque année à la même période depuis la nuit des temps : le sardine run (la course des sardines). J’avais envie de vous faire découvrir ce feuilleton dans lequel les protagonistes n’en finissent pas de jouer le même scénario, mais quel scénario !

Afrique du Sud, le Cap : chaque année, à partir de février, les sardines migrent vers le Mozambique le long des côtes sud-africaines jusqu’à former des bancs gigantesques, pouvant atteindre 30 kilomètres de longueur, 400 mètres de large et sur 50 mètres de profondeur. Pendant leur périple, on assiste au spectacle inouï d’une masse sombre qui, telle un fantôme sous-marin, longe les côtes, portée par les courants froids. Ces millions de sardines nourrissent 350 000 fous du Cap, plus de 25 000 dauphins, plusieurs dizaines de milliers de requins cuivres, des centaines de milliers d’autres poissons prédateurs et des milliers de petits pêcheurs. Puis, quand les courants froids se heurtent à des courants chauds, le fantôme – ou ce qu’il en reste – fait demi-tour et repart vers le sud. Pourquoi une telle migration ? À ce jour c’est toujours un mystère pour les scientifiques, mais la perpétuation de l’espèce fait partie des hypothèses les plus fréquemment avancées.

Jacques Perrin a eu l’occasion de filmer ce moment unique (il parcourt depuis deux ans toutes les mers du globe pour réaliser une fresque-fleuve, Océans, qui sortira en 2008 après quatre années de tournage). Dans une interview parue dans l’Express du 20 décembre 2006, il témoigne  : « Comme un vol de passereaux, ces myriades de poissons réagissent à la même seconde, mus par une pensée collective. Pareils à une légion romaine. Mais ce ballet constitue une proie facile, une aubaine pour des milliers de prédateurs – dauphins, requins, baleines à bosse, fous du Cap, etc. – qui les suivent et se servent, comme au restaurant. Malgré ces énormes prélèvements, des sardines passent. Ainsi, chaque espèce a déployé, depuis des millions d’années, des stratégies complexes pour affronter l’épreuve de la vie. Et on laisserait disparaître tout ça sans même avoir eu le temps de l’observer ? »