L’arrivée sous la coupole de la nouvelle Bourse du Commerce est impressionnante : sous la majestueuse verrière restaurée, qui plafonne à 35 mètres de hauteur et inonde de lumière le cœur du bâtiment, la sculpture en cire d’Urs Fischer trône au centre de la Rotonde redessinée par l’un des maîtres de l’architecture contemporaine, Tadao Ando, associé avec les architectes Lucie Niney et Thibault Marca (agence NeM) et l’architecte en chef des monuments historiques Pierre-Antoine Gatier. C’est fabuleux comme l’architecture de béton minimaliste de Tadao Ando – un « simple » cylindre de 29 mètres de diamètres et de 9 mètres de haut – réussit l’exploit de relier le style d’un bâtiment érigé au XVIe siècle au design du XXIe siècle. C’était d’ailleurs le principal objectif de l’architecte japonais : ” L’architecture comme un trait d’union entre le passé, le présent et le futur. ”

L’extérieur de la Bourse du Commerce depuis le jardin Nelson Mandela. À gauche, on distingue le haut de la colonne Médicis.

Entrée de la Bourse du Commerce -collection Pinault.

La splendide verrière qui surmonte la rotonde permet à la lumière de pénétrer à flot dans le musée et d’éclairer la fresque qui dépeint le commerce sur les cinq continents.
Du palais Médicis au musée d’art contemporain
Car avant d’être un musée d’art contemporain abritant les œuvres de la collection Pinault, la Bourse du Commerce a d’abord été un palais construit à la demande de Catherine de Médicis au XVIe siècle. Le seul vestige subsistant de ce palais est la colonne astronomique cannelée, dite Colonne Médicis, qui est visible depuis l’extérieur au sud du bâtiment. Au XVIIIe siècle, une halle aux blés est construite sur les lieux, idéalement situés proches de la Seine sur laquelle circulaient les bateaux chargés de grains. C’est de cette période que date l’escalier à double révolution qui permettait au personnel administratif et aux négociants de ne pas croiser les hommes chargés des sacs de grains. Aujourd’hui, cet escalier est superbement mis en valeur grâce aux luminaires imaginés par les designers Ronan et Erwan Bouroullec, qui ont également signé l’aménagement intérieur et extérieur du nouveau musée.

Les luminaires signés Ronan et Erwan Bouroullec magnifient l’escalier à double révolution construit lorsque le bâtiment était une halle aux blés.

Dans l’escalier à double révolution qui offre des vues sur le jardin Nelson Mandela, la Canopée des Halles et l’église Saint-Eustache.
L’incroyable cylindre de béton de Tadao Ando
Cet escalier donne accès, tout comme celui situé sur la face externe du cylindre gris clair créé par Tadao Ando, aux galeries d’exposition ainsi qu’au promenoir qui couronne le cylindre et offre des angles de vue inédits sur le bâtiment. On aperçoit ainsi l’œuvre d’Urs Fischer en contrebas ainsi que le magnifique panorama marouflé de 1889, qui dépeint le commerce mondial sur les 1 400 m² de la voûte. Je vous conseille de suivre l’une des visites « flash » organisées tout au long de la journée (pas besoin de réservation) : elles retracent l’histoire du bâtiment et lèvent notamment le voile sur cette gigantesque fresque.

Depuis le promenoir situé au sommet du cylindre de béton.

Le cylindre de Tadao Ando s’intègre parfaitement dans le bâtiment historique de la Bourse du Commerce.

De l’espace d’exposition à la verrière, la vue est incroyable lorsqu’on pénètre dans le musée.

Même s’il est en béton, le cylindre donne une sensation de légèreté et installe son cercle parfait dans celui de la Bourse du Commerce, classé Monument historique.
L’œuvre d’Urs Fischer, monument à l’impermanence
Depuis l’ouverture de ce nouvel écrin de la collection Pinault fin mai 2021, j’ai eu l’occasion de m’y rendre deux fois et de pouvoir ainsi observer l’évolution de l’œuvre d’Urs Fischer, un groupe de bougies monumentales dont la cire imite à la perfection la texture des objets représentés : le marbre de la réplique exacte de L’enlèvement des Sabines de Giambologna, le bois et le plastique des assises répondant à la fresque de la coupole sur le commerce mondial – sièges traditionnels africains, sièges d’avion et chaise de jardin – et la peau de l’effigie de l’artiste Rudolf Stingel, ami d’Urs Fischer. Chaque matin, avant l’arrivée du public, le personnel de la Bourse de Commerce allume l’œuvre en cire, chaque mèche étant éteinte tous les soirs. Entre mes deux visites, l’œuvre s’était ainsi consumée, les têtes des statues et les dossiers des sièges avaient presque complètement disparu, montrant la fragilité et le côté éphémère de ce qui semblait pérenne de prime abord.

La statue en cire du plasticien Rudolf Stingel en pleine métamorphose…

Urs Fischer aime à travailler des matériaux mutables qui se consument, se périment ou se modifient comme le pain ou la cire.

Dressée intacte, puis démembrée et écoulée, l’œuvre en cire d’Urs Fischer – malgré sa transformation – enchante encore l’espace.

La sculpture en cire d’Urs Fischer dialogue avec celles peintes sur la fresque de la rotonde.

Les sièges d’avion évoquent le voyage et la standardisation de notre monde contemporain tandis que les assises africaines rappellent l’idéologie coloniale des échanges commerciaux au XIXe siècle.
Les objets de Bertrand Lavier dans le passage circulaire
Tout autour du cylindre de béton, le visiteur peut déambuler dans un vaste corridor circulaire appelé désormais « passage » (référence à l’architecture des passages parisiens), et découvrir les objets que Bertrand Lavier a disposé dans les 24 vitrines historiques à l’occasion de l’inauguration du musée.

Dans « rétrospective en vitrine », Bertrand Lavier réinvestit avec humour des objets prosaïques, industriels.

L’une des vitrines occupée par un violoncelle violet.
Première rétrospective David Hammons en Europe
On pourrait passer des heures dans cet incroyable temple de l’art contemporain, où François Pinault va montrer petit à petit une partie des 10 000 oeuvres qu’il a rassemblées depuis plus de cinquante ans. Au rez-de-chaussée, l’ensemble des œuvres de David Hammons présentes dans cette collection sont rassemblées. Ce sculpteur, photographe et performeur américain du Black Arts Movement recueille des objets et matériaux dans la rue. Il les assemble et donne vie à des sculptures et installations abordant les questions de la pauvreté, la lutte de la communauté afro-américaine pour la conquête des droits civiques et contre le racisme.

Un des assemblages réalisés par David Hammons.
Ensembles photographiques
Au premier étage étaient présentés (cette exposition est terminée depuis le 15 novembre) les ensembles photographiques de six artistes, parmi lesquels Michel Journiac dont les mises en scène pour 24 heures de la vie d’une femme ordinaire dénoncent le quotidien et les rituels sociaux asservissant les femmes.

Extrait des photos réalisées par Michel Journiac pour « 24 heures de la vie d’une femme ». Pour cette « action photographique », le photographe s’est travesti en femme et surjoué la journée type d’une femme au foyer, ainsi que les figures qu’elle rêve d’incarner.
De superbes toiles grand format
Une exposition sur le portrait et la représentation du corps dans la peinture contemporaine anime le deuxième étage. Les toiles grand format du peintre américain Kerry James Marshall sont joyeuses avec leurs contrastes de couleurs et leurs personnages à la peau d’ébène exagérément noire. Les grandes peintures photoréalistes de Rudolf Stingel attirent irrésistiblement le regard, tout comme les œuvres du peintre brésilien Antonio Oba et le tableau de format monumental Paris Bar de Martin Kippenberger et sa mise en abîme.

Avec « Untitled », Kerry James Marshall évoque l’identité noire.

Photo ou peinture ? Rudolf Stingel instille le doute.

Martin Kippenberger, « Paris Bar« .

Antonio Oba, « Sesta ».
Œuvres in situ
Ce qui est original, c’est qu’une partie des œuvres ne sont pas présentées dans les salles d’exposition conventionnelles. D!s le salon d’accueil le visiteur est plongé dans l’art contemporain avec l’immense tableau de Martial Raysse, Ici Plage, comme ici-bas. Si vous levez les yeux depuis le centre du cylindre, vous apercevrez les pigeons « plus vrais que nature » postés sur les balcons intérieurs du troisième étage par Maurizio Cattelan. Quant à la petite souris animatronique bégayante de Ryan Gander, elle se cache dans son trou creusé dans un mur du rez-de-chaussée, je vous laisse la découvrir lors de votre prochaine visite 😉

Martial Raysse, « Ici Plage Comme ici-bas ».

Lorsqu’on lève les yeux pour la première fois, on a vraiment l’impression que les pigeons de Maurizio Cattelan sont réels et ont réussi à pénétrer dans le musée.

La surprenante et intrigante petite souris de Ryan Gander.
Pour en savoir plus sur l’œuvre architecturale de Tadao Ando : Atlas Tadao Ando, de Philippe Séclier, introduction de Yann Nussaume, poème de Naoko Kawachi, 296 p., 2 300 photos, 49 €.
Sublimes photos et on reconnaît l’oeil d’experte en art contemporain !
Merci !